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Photo du rédacteurElora Veyron-Churlet

Nos vies confinées – journal, partie 2

Voici la suite du premier journal. Toujours lors du premier confinement, un mois après le premier, la fatigue et la lassitude ont peu à peu pris le dessus sur l'enthousiasme de la découverte...


Aujourd’hui, le soleil resplendissait. On est seulement en avril, mais le ciel était bleu, sans nuages et les gens étaient…dehors.

Oui vous l’avez compris, vous n’avez pas rêvé, les gens sortaient comme si de rien n’était. Je les comprends et pourtant ce sentiment d’injustice m’envahit. S’ils sortent, s’ils relâchent leurs efforts, l’enfermement se prolongera. Nous sommes des « prisonniers » en sursis. En prison, si on se comporte bien, on profitera d’une remise de peine. Si on contraire, on enfreint toutes les lois, certes on se sentira libres un bref moment mais notre peine ne s’écourtera pas. Le problème c’est que cette peine ne fait que s’allonger, que l’on respecte ou non les règles. Alors l’aléa moral se produit, nous sommes tous confrontés au risque d’etre malade ou de rester confinés. Alors on sort, on ne risque rien de plus, et il est vrai qu’individuellement, on augmente notre confort. Les médias le disent, plus personne ne parle de fin du confinement. Puisque l’on ne voit pas de fin, il est naturel que les gens craquent, tout comme ils sont sortis boire un dernier verre avant la fermeture des bars.

Penser à un avenir qui est par nature incertain est difficile, lorsque l’on doute déjà du lendemain, comment réfléchir et construire un avenir lointain ? Je ne peux m’imaginer les personnes dans le besoin, les réfugiés, tous entassés. Ceux qui ne voient plus la lumière du jour, qui ne voient plus le ciel. En parlant de ciel. J’ai toujours cru que le temps jouait sur mon moral, et je le pensais encore jusqu’à ce matin.

On a tous l’impression que le temps à un pouvoir sur notre moral, que le soleil est la cause de notre bonheur, que la pluie accompagne nos pleurs. J’ai donc cherché ce matin et j’ai découvert que cela était faux. J’ai lu plusieurs études et articles psychologiques qui comparaient les ouvrages de plusieurs chercheurs dont David Watson, professeur de psychologie à l’université de l’Iowa et grand spécialiste américain de l’humeur. En réalisant plusieurs tests, il a prouvé que le temps n’aurait pas de corrélation avec notre humeur. Je suis restée perplexe et j’ai continué à chercher. Il s’avère que le temps n’a certes pas d’incidence directe sur notre humeur, mais qu’il a une répercussion sur la fréquence de sorties et de rencontres et donc sur notre sociabilité qui serait à l’origine de notre bonne humeur (un comble en période de confinement). Tout le monde connaît ce coup de blues au milieu du mois de novembre lorsque les nuits raccourcissent et que les nuages noirs envahissent le ciel et au contraire cette joie immense qui nous envahit à l’idée de boire un verre, de veiller auprès du feu avec nos amis à l’arrivée du printemps. Si un orage éclate en été, votre joie ne disparaîtra pas, tout comme décembre ravive votre bonne humeur à la simple pensée de retrouver vos proches (et les cadeaux, je le sais).

La corrélation entre notre humeur et le temps n’est en fait qu’une croyance imprimée dans nos esprits depuis petits. Lorsque l’on pleure et qu’il pleut, on le remarquera, alors que si on pleure et qu’il fait beau, notre esprit oubliera. Notre cerveau fait le rapprochement entre le temps et son humeur avec pour seule base ce stéréotype sociétale ; c’est ce qu’on appelle un biais cognitif.

Bon je ne vais pas vous mentir, même si cette découverte a été intéressante pour moi, je ne vais pas pour autant arrêter d’etre heureuse quand le soleil vient chauffer mes joues en été et puis… puisque la sociabilité extérieure est impossible pour le moment voyons le côté positif, en Skype, même s’il pleut, pas d’excuses pour rater l’apéro Visio !

La vie est ailleurs

Aujourd’hui on est le 6 avril, cela fait maintenant 3 semaines que nous sommes enfermés, sans restaurants, sans magasins, sans activités extérieures, sans école, que les rues sont désertes. Nous vivons un film de science-fiction, sans action. Nos projets ne sont plus de voyager, on ne peut que rêver. A Lille, j’ai eu l’occasion de prendre des photos de la Grand-Place déserte, des rues commerçantes habituellement bondées en plein samedi après-midi, vides. Dehors, on a le sentiment d’être dans une grande ville en plein mois d’août. Vous savez, lorsque tous les enfants sont partis, la vie s’est arrêtée, la vie est ailleurs, sur les plages, dans les lieux les plus touristiques. Aujourd’hui, et depuis deux mois, nous sommes un 15 août. Il m’est arrivé un été avec mes parents d’être un 15 août à Milan. Bien que ce soit une grande ville, tout était vide. Les rideaux fermés, on a fini par passer la journée à l’hôtel et on a mangé un Burger King, seul endroit pour nous restaurer que nous avions trouvé. Cela m’avait traumatisé. Je m’étais demandé ou étaient passés ces gens qui la veille encore remplissaient les rues. Je n’avais pourtant qu’à attendre le lendemain pour retrouver ce bruit de ville, cette foule dans laquelle j’ai grandi. Qui aurait cru que quelques années après, dans ma ville, je revivrai la même chose, jour après jour, une ville fantôme, le Burger King en moins ?

Pourtant, ce matin, c’était le relâchement. Les gens bronzaient, riaient comme… un dimanche normal ! Il est difficile de qualifier un jour de « normal ». Ce mot est si étrange. Parce qu’aujourd’hui notre normalité devient notre chez nous. Imaginez que dans un mois, on aura vécu plus de temps chez nous que dehors en 2020 ! En y pensant je crois que cela ne m’est jamais arrivé, rester chez moi, vivre autant de temps enfermée.

Je me souviens que lorsque j’étais petite, je lisais les biographies de mes auteurs préférés et souvent, ceux que j’admirais le plus avaient fait un séjour en prison. Dans ma tête, cette prison ressemblait à ce que je voyais dans les films, une sorte de cachot, dans une tour en pierre, avec une petite fenêtre en hauteur creusée dans la pierre. L’écrivain était assis, au fond du cachot, songeur, en train d’écrire sur un bout de papier jauni par l’humidité. Parfois, ils regardaient le faisceau de lumière qui leur donnait l’espoir ou le souvenir d’une vie libre.

Aujourd’hui, j’ai l’image de l’écrivain dans une maison à la campagne, solitaire, qui marche en cultivant son potager, respirant l’air frais. Dans sa maison en pierre toujours, ou en bois, le lierre recouvre progressivement la façade, l’écrivain s’allonge dans l’herbe et regarde le ciel bleu. Au coucher du soleil, il rentre dans le salon et s’allonge sur le tapis pour continuer à écrire sous le crépitement de la cheminée, il ne manque plus que le chien qui s’allonge à ses pieds pour terminer. Je ne sais pas si pour écrire il faut se retrouver dans la solitude, ou si ce sont les films et les romans qui m’ont mis ces images dans la tête, mais finalement c’est un peu ce que je fais.

Chez moi, je me mets seule sur mon balcon, et appuyée sur le rebord, regardant le soleil se coucher au lointain, j’écris. Une fois la nuit tombée, je rentre et me blottis sous mes plaids dans le canapé et je me laisse aller à mes pensées.

Je n’écris pas de roman parce que je n’ai jamais de fin. Je commence, j’écris et puis j’ai ce blanc. Ce syndrome de la page blanche, ennemi de toute personne qui tente d’écrire. Je pense que j’ai peut-être peur que ma fin soit pas assez bien. J’ai l’impression d’aller dans tous les sens, donc j’essaye d’écrire ma vie et ce qui me passe par la tête. Et ce qui est bien avec ma vie, c’est que pour l’instant elle est sans fin. Ecrire me permet de faire une sorte d’introspection et de me découvrir moi-même même si ce n’est pas tout à fait comme un journal intime puisque vous le lirez.


I Qu’est-ce que l’essentiel?


Je voyage, d’une pensée à une autre, je lis, j’écoute et j’écris. Tout à l’heure ma mère m’a parlé du livre La première gorgée de bière de Delerm. Dans ce livre, il reprend les plaisirs simples de la vie, un peu comme la madeleine de Proust. C’est ce que nous devrions faire dans cette période. Quand les gens m’envoient un message en me demandant ce que j’aimerais faire pendant ces vacances qui seront, vous l’avez compris, moins chargées que prévu, et bien j’ai du mal à répondre, je pense que je vais essayer de ne pas penser. Pour la première fois de ma vie peut-être, arrêter de mentaliser l’après, faire tout simplement ce qui me plaît. Je vais tenter le lâcher-prise, puisque lorsqu’on souhaite comme on l’entend souvent « revenir à l’essentiel », cela est un peu flou pour moi puisque l’on peut se demander : qu’est-ce que l’essentiel ? Se retrouver ? Mais comment et par quoi commencer ? On n’a pas appris à ne rien faire sans culpabiliser, à ne pas être productifs comme nous l’entendrons aujourd’hui. Peut-être que je veux être productive dans ce que j’ai décidé ; pour lire, écrire et dessiner par exemple. En faite je pense que revenir à l’essentiel veut dire se concentrer sur ce qui nous rend heureux, fiers. Dans notre société, on nous apprend à être humble, à ne pas montrer notre fierté. Nombre de fois ma mère m’a regardé d’un air jugeur lorsque j’ai poussé un cri de satisfaction en trouvant que le travail que j’avais réalisé me satisfaisait, qu’il était vraiment bien. Paradoxalement, on nous dit souvent : « tu peux être fière de toi ». Cela veut-il dire que nous avons le « droit » d’être fière de nous mais que nous devons garder ce sentiment en nous sous peine d’être pris pour quelqu’un d’orgueilleux ? Cela est pareil avec la question : « ça va ? », nous posons cette question chaque jour sans réellement attendre de réponse, ou bien on attend un simple oui, sans plus. A tel point que nous n’osons plus dire quand non, ça ne va pas. Pourquoi avons-nous honte de dire non ? Avons-nous peur que la personne ne fasse pas attention à nous, d’être une personne qui connaît une période difficile, de plomber l’ambiance. Alors que finalement, tout le monde à des moments difficiles et il suffirait que l’on puisse se confier pour nous délivrer peut-être de ce poids. On se sentirait surement moins seuls. On a souvent l’impression que nous sommes les seuls à avoir ce problème mais c’est pourtant faux. Je suis certaine que dans les 7 milliards d’humains sur terre, une bonne partie a connu ce problème et les blogs sur le net en tous genres nous le confirment, alors pourquoi pas notre entourage ? Et pourtant nous nous jetons sur ces blogs, je suis la première à le faire mais notre entourage, qui nous aime, qui nous connaît, n’est-il pas plus légitime pour nous aider ? Mais nous avons cette honte, internet nous anonymise. Même les psys parfois ne peuvent pas nous aider puisque se livrer est difficile, ils arrivent à pointer le problème, mais encore faudrait-il arriver à tout leur dire, et ne pas leur mentir, mais c’est difficile parce que l’on se sent vulnérable.

J’ai besoin de cette interface numérique et encore, il faudrait que moi-même je prenne en compte qu’il y a un problème. On se ment à nous-mêmes. C’est plus facile parce que si on plonge, après il faut nager pour ne pas couler. Finalement, poser les mots sur le papier permet de réaliser une introspection, de comprendre nos émotions. Je suis seule avec les mots et mes mains qui tapent sur le clavier. Je cherche, je tape, j’efface, j’accélère, j’arrête, je lève les yeux au ciel, je réfléchis et je réécris. Surement qu’on a besoin de pauses dans nos vies pour comprendre certaines choses. Et c’est surement pour cela que plus le confinement dure, plus les personnes se sentent mal, puisque dans cette pause, loin de leurs vies surmenées, elles ont le temps de penser et pour la première fois elles se retrouvent seules, face à elles même. On a l’impression que notre vie nous échappe, peut-être que ce que nous faisons est inutile, que nous ne prenons pas le temps de nous considérer nous et que nous vivons sans nous interroger, sans profiter. Le temps passe vite et de plus en plus vite. Mais sommes-nous satisfaits de ce que nous avons accompli ? Malheureusement non, parce que l’on veut toujours plus. Nous sommes éternellement insatisfaits puisque l’on nous a appris à l’être. On a appris à chercher, à trouver et à recommencer, à creuser tout cela sans cesse sans avoir appris à faire de pauses, à regarder ce que nous avons fait et à nous dire Wouah, c’est moi qui ai fait ça ! J’en suis capable. Il ne faut peut-être pas se contenter de ses acquis et certes le challenge nous donne envie mais je suis sûre que s’arrêter deux minutes pour considérer la magnifique personne que vous êtes peut vous aider. Cette période seuls peut-être une épreuve puisque nous vivons souvent dans le regard des autres. Nous attendons sans cesse de la considération, et quand cela disparaît, nous avons l’impression d’être vides. Ce sentiment est universel. Je suis persuadée que même miss France se lève le matin et se trouve moche, que Gandhi avait parfois l’impression d’être injuste, une personne inutile, que votre personnalité préférée, même avec sa communauté ne se sent pas forcement ok avec elle-même. Lorsque quelqu’un nous fait un compliment, on se trouve des excuses, on se dit que ce n’est pas objectif, que c’est simplement pour nous faire plaisir alors que les critiques provoquent en nous une colère immédiate. On les croit. Nous ne nous sommes jamais dit que c’était nous qui avions un avis biaisé, que c’est nous qui ne sommes pas objectifs avec nous même inconsciemment. Je l’écris, ça fait longtemps que je pense à tout cela et j’avais besoin de le poser sur le papier. Je pense que comme tout s’aimer est difficile et je suis bien loin d’y arriver. J’ai parlé ici de la vision de nous-même dans ce que nous réalisions mais cela se répète aussi dans la vision physique de nous-même. Surtout avec cette malveillance envers notre corps. Combien de squats, de joggings, de repas à vous frustrer pour vous sentir mieux avez-vous faits ? Combien de fois avez-vous culpabilisé à manger ce gâteau qui vous tentait ? Et surtout dans cette période de confinement ou nous sommes plus sédentaires que jamais. Le mouvement Body positif essaye de nous décomplexer, mais croyez-vous que même si vous atteignez votre body goal vous vous sentiriez mieux ? Les filles des magazines sont comme vous et ne se trouvent pas jolies parfois le matin. La perception de nous-même est si aléatoire. Personnellement, j’ai déjà trop joué avec ça et j’en ai marre. J’ai essayé d’ouvrir mes yeux mais ça ne marchera pas puisque nous sommes sans cesse comparés aux autres.

J’écris pour me sentir bien

Si on se compare, jamais nous arriverons à la meilleure version de nous-même puisque ce n’est pas nous, nous ne pouvons pas vivre éternellement dans l’ombre des autres, en restant focalisé sur notre miroir déformé en espérant un jour avoir le corps d’un autre. En plus, je pense que je ne serais pas heureuse dans le corps de quelqu’un d’autre puisqu’à la question : « si tu devais être quelqu’un d’autre que toi qui serais-tu ? » je n’ai pas de réponse. Peut-être que si nous changions notre perception et que nous nous apprenons à nous aimer dans notre intégralité, sans faire semblant, nous pourrions au long terme, enfin ouvrir les yeux et atteindre la même bienveillance envers nous même que les autres ont pour nous. La société qui nous a complexée pourrait changer. Le féminisme a pour but de promouvoir l’égalité homme/femme, nous parlons souvent de l’inégalité salariale, de rôles à la maison ou encore de représentation dans les médias ou les postes haute responsabilité mais beaucoup moins de la pression d’apparence qui pèse sur les femmes. Pendant longtemps cette apparence permettait aux femmes de se marier et donc de se sortir de la misère mais maintenant que les femmes ne se résument pas qu’au mariage en Europe du moins, pouvons-nous enfin sortir de ce diktat d’un corps idéal éphémère parce qu’en plus du temps qui passe, d’une décennie à l’autre cet idéal fluctue ?

Je n’ai pas de réponse à mes interrogations et je ne pose là que des pistes de réflexion que je pourrais approfondir mais je vais laisser chacun aller à ses idées individuellement car si ce questionnement est universel, le cheminement vers une potentielle solution est propre à chacun.

Aujourd’hui j’écris pour me sentir bien et je peux dire que cela m’a apporté une sorte de satisfaction d’avoir réalisé quelque chose même si ce n’est que quelques lignes. Je suis donc fière de moi.

Nous sommes en vacances, c’est étrange puisque je suis partagée entre la joie de ne plus avoir cours et la peur de ne plus savoir quoi faire. En un mois je me suis créé une sorte de routine. Je travaillais la semaine, un peu moins que d’habitude, certes mais avec un rythme plutôt soutenu. J’avais des objectifs, je les réalisais. J’étais contente d’être le week-end, je m’accordais une petite journée rien qu’a moi puis je recommençais. A présent, je n’ai plus d’obligations. Garder une routine lorsque plus rien ne nous contraint est assez difficile. On dit souvent que l’ennui est bénéfique, que ça nous rend créatif. Je comprends parce qu’en soit moins on a de choses à faire, plus on laisse notre cerveau partir dans son imagination. Mais est-ce infini ? La plupart du temps, s’ennuyer c’est rester allongé à regarder le plafond. On essaye alors de s’occuper en vain, on finit par tourner en rond lorsque plus rien ne nous tient en place. Lorsque l’on commence à ouvrir un livre, on lit deux pages, on le referme, on souffle, on allume notre téléphone, on scrolle, on souffle, on met une série que l’on ne regarde même pas, on souffle. On est allongé, on se sent vaseux. On a plus la notion du temps, c’est comme si 1min durait 1h, 1h, un jour entier.


I Tout le monde parle de l’après…


Et puis soudain nos paupières sont lourdes, ne rien faire fatigue et on se dit qu’une sieste ne pourra que raccourcir ce temps que l’on cherche désespérément à tuer. A la nuit tombée, plus moyen de dormir, on sort alors de notre lit, attendant que le sommeil veuille bien nous emporter. On se balade dans notre maison devenue noire, ou le silence règne. On s’assoit un instant sur le canapé, nous regardons les rues vides que les derniers joggeurs ont désertées. Je regarde souvent les étoiles d’un ciel un peu dépollué (quand il y en a bien sûr parce que n’oublions pas que j’habite à Lille tout de même). Je fais le vide et je voyage d’une étoile à l’autre, en me demandant comme ces choses extraordinaires peuvent exister. Je me demande ce que ça fait d’etre dans l’espace et je me laisse une nouvelle fois partir dans mes souvenirs. Une fois apaisée, lorsque le froid me fait rentrer, je retourne sur la pointe des pieds dans mon lit. Je regarde mon plafond, je l’effleure de ma main laissant sur elle des particules blanches de peinture (merci la peinture carrefour), puis je prends mon ordinateur et j’écris.

C’est la nuit que j’écris le plus. Sans aucune distraction, je pense et je suis d’un coup inspirée. Le syndrome de la page blanche cesse jusqu’au moment où la fatigue reprend le dessus et me force à arrêter, je ne peux plus penser. Je ferme mon ordi et je reprends mon téléphone, je réactualise mon fil d’actu sans cesse en espérant trouver une nouvelle notification, mais il est déjà 3h du matin alors je laisse tomber et je me résigne enfin à dormir.

On le sait maintenant, le confinement va durer bien plus longtemps qu’on le croyait. Wuhan, épicentre de l’épidémie, est resté deux mois entiers confinée. Aujourd’hui encore, ils ne sont pas revenus à la vie « d’avant ». J’ai regardé un reportage sur ARTE d’un journaliste à Pékin. Quelques semaines auparavant, bien avant le confinement en France j’avais visionné le reportage du même journaliste, c’était le témoignage de sa vie confinée. L’ironie du sort fait qu’à présent, c’est moi derrière mon écran qui suis confinée et lui qui profite d’une relative liberté. Vous l’avez remarqué, j’ai nuancé mon propos puisque on le sait on ne sortira pas du jour au lendemain comme nous avons été confinés. Les médias nous ont prévenu d’un retour « progressif », assez flou je dois dire. Des rumeurs courent, certains disent seulement les personnes immunisées, d’autres les jeunes enfants, d’autres encore les premières et les terminales pour que l’on puisse valider notre bac. Ce flou s’est un peu éclairci grâce à ce reportage. Les parcs ont ouvert, les magasins et les restaurants aussi. Seulement, les Chinois sont invités à circuler, à rester en comité réduit, aucun invité ne peut franchir la porte de leur maison. Est-ce que cela veut dire que notre sociabilité n’est pas près d’être de nouveau autorisée ?

Tout le monde parle de l’après. On sait qu’il y aura un après, on ne sait pas comment il sera ni quand il viendra, juste qu’il ne ressemblera pas à l’avant. En chinois, le mot crise peut signifier deux choses : « danger » (qui représente un homme au bord d’un précipice) ou opportunité. La sémantique chinoise est dans ce cas plus positive en évoquant le caractère favorable que peut représenter une crise pour une organisation. Le coronavirus est donc un danger en premier lieu mais peut-être une opportunité. En espérant seulement pour une fois que l’homme apprendra de ses erreurs. Les plus pessimistes disent que la sortie de cette crise ne se fera que vers la fin de l’année. Sachant que nous sommes en démocratie, que nous ne pouvons pister tout le monde, allons-nous sortir de cette crise sans mettre nos libertés entre parenthèses ? Une appli pour connaître nos déplacements devrait être mise en place tout en préservant notre anonymat, mais puisqu’il est impossible de nous contraindre de la télécharger, comment savoir si la solidarité collective fonctionnera ? Moi-même, savoir que mon téléphone me piste sans cesse ne m’attire guère, même si je suis consciente que les réseaux sociaux le font déjà. Je suis sceptique.

Dehors, le confinement se relâche…

Emmanuel Macron a pris la parole une nouvelle fois. Le confinement durera jusqu’au 11 mai, on doit reprendre les cours. Je ne sais pas comment prendre cette nouvelle. J’ai très hâte et pourtant j’ai peur. Deux mois d’arrêt au milieu d’année ce n’est pas commun. Va-t-on devoir travailler encore plus qu’avant ? Je me suis adaptée à un nouveau rythme. On parle de déconfinement mais nous n’avons pas le droit de sortir, je pourrai juste retourner au lycée, mais pas au cinéma ni dans les bars, peut-être dans les magasins. La question des vacances d’été reste entière, je ne m’imagine pas rester deux mois enfermés dans mon appartement avec pour unique contact les personnes de ma famille. L’extérieur me manque, je ne suis pas la seule. Dehors, le confinement se relâche. On peut voir deux catégories de personnes. Celles qui sortent et qui n’ont pas peur et ceux qui sont paniqués à l’idée d’attraper le virus. Le retour en cours est « facultatif ». Les parents sont donc libres de décider du retour ou non de ses enfants en cours. Mais nos notes vont-elles compter ? Malgré un retour progressif en classe, la distanciation sociale pour les enfants est une illusion. Je suis sortie deux jours pour etre animatrice dans le centre aéré pour les enfants des personnes mobilisées organisé par mon lycée. Comment expliquer à des enfants de 3 ans de garder un mètre de distance entre eux ? C’est tout simplement impossible de les tenir. Et puis peut-on rester indéfiniment dans une bulle ? Je n’arrive pas à voir la suite, cela m’angoisse. Ces deux jours de liberté m’ont fait du bien. J’ai pu me dépenser, ressentir à nouveau le soleil sur mon visage, l’air frais. Pourtant, même si je ne sors pas, dehors, de plus en plus de groupes de personnes se réunissent. On ne compte plus les jours qui se ressemblent. J’ai hâte de reprendre les cours pour retrouver une routine puisque ne rien faire est un cercle vicieux. Les journées skypes sont géniales mais j’ai besoin de voir les gens, de retrouver ma vie d’avant. La distance est pesante. On s’habitue, on n’a pas le choix mais à chaque fois, la date de sortie se rapproche pour de nouveau s’éloigner encore plus qu’avant. On ne voit pas la fin de cette crise et on continue de vivre le jour le jour. Plus le temps passe, plus l’incertitude grandit, plus le retour s’avère compliqué.

J’ai parlé à mon chef d’établissement au centre aéré, le retour se fera par demi-journée pour que l’on ait la place d’être seuls sur une table, la cantine elle restera fermée. C’est assez étrange, il reste un mois et c’est à la fois rapide et long à la fois. Je ne retrouverai pas ma classe d’avant le confinement. Le vrai retour ne sera qu’en septembre, quand je serai en terminale. J’ai revu la cour désertée. Les arbres avaient poussé, des pommes de pains étaient tombées. Un lycée vidé de ses élèves fait un peu peur, ce silence inhabituel dans les couloirs est presque anxiogène. L’odeur des cahiers à laissé place à l’odeur du désinfectant utilisé trois fois par jour par l’équipe de nettoyage. Le lycée sent l’hôpital mais sans patients. Les enfants étaient impressionnés d’être dans la cour des grands. Ils couraient partout et cueillaient les pâquerettes qui avaient eu le temps de pousser sur les carrés d’herbe habituellement piétinés par des centaines de pieds chaque jour. Nous sommes retournés dans le bâtiment des primaires avec une vingtaine de pommes de pin. Nous les avons peintes pendant à peine 20 minutes avant que les enfants ne soient lassés et partent jouer. Assise sur le terrain de foot synthétique, j’ai regardé le ciel et j’ai pensé. J’aimerais faire des plans d’après mais tout est en suspens pour un moment. J’ai peur de prévoir des choses qui vont tomber à l’eau. Est-ce que ça sert de prendre du temps pour penser à après ? Mais c’est essentiel pour ne pas déprimer. Ma vision du temps est déformée et j’ai peur de voir les journées passer sans avoir le temps de profiter.

La pandémie contrôle nos vies

Aux infos, tout tourne autour de la pandémie, économie, déconfinement, pâques en visio, ramadan et confinement. La pandémie contrôle nos vies. Les guerres sont en suspens. Pour la première fois les pays collaborent pour autre chose que faire la guerre. Aucun pays n’est à l’abri. C’est comme une grande course mondiale des gouvernements, qui trouvera une solution plus rapidement, quel régime est plus efficace ? Des choses incroyables passent au second plan. Kim Jung Un est peut-être décédé, on ne sait plus ce qui est vrai ou faux. Nous sommes submergés d’infos anxiogènes à chaque seconde et on se noie dans le vrai ou bien le faux. Une étude a prouvé que pendant cette pandémie, les gens se reposent sur les médias traditionnels qu’ils avaient un pu délaissés au profit des réseaux sociaux. Les gens s’informent une à deux fois par jour, pour entendre les mêmes actualités : nombre de mort, de blessés, conseils des médecins surchargés, actions solidaires et découverte d’une personnalité qui continue d’entretenir un lien avec sa communauté. J’avais beaucoup de projets à faire pendant ce confinement, je n’ai presque rien réalisé mais je pense que j’avais besoin d’une pause. D’un moment pour me retrouver moi sans aucune contrainte pour décompresser. Je vais surement reprendre un rythme mais je ne m’impose plus de grosses contraintes pour essayer de vivre un peu sans stress supplémentaire.

Les enfants n’ont pas peur, mais les adultes se questionnent. Je vois mes parents, leurs collègues se questionner, démissionner, potentiellement être virés. Plus de la moitié des salariés sont au chômage partiel et tout le monde a le temps de tout remettre en cause. C’est comme si nous avions vécu trois ans d’actualité en seulement quatre mois. Ce qui est sûr, c’est que 2020, on s’en souviendra.


A retrouver sur :

https://scenenews.news.blog/2020/05/07/nos-vies-confinees-journal-delora-partie-2/

Elora Veyron-Churlet

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