Depuis maintenant 3 ans, l’équipage était monté à bord du Chemin des merveilles et naviguait, perdu dans l’immensité de l’océan à la quête d’une terre rempli de trésors. Cela faisait plusieurs mois que les marins n’avaient pas vu de terre, découvert une quelconque civilisation et l’éloignement de leurs proches restés au pays commençait à se faire sentir dans le moral de tout le personnel à bord. Le capitaine Clément savait que trouver une terre était sa priorité car en plus d’honorer sa mission, il devait à son équipage un moment de répit, loin de la menace perpétuelle d’une attaque de pirates ou d’une nouvelle tempête qui avait déjà ruiné une bonne partie de l’arrière du navire.
Il faisait chaud, et les dégâts qu’avait laissé la tempête dans la coque forçaient une dizaine d’hommes à rester dans les caves pour vider, seau après seau, l’eau salée qui s’infiltrait par de tout petits trous, à peine visibles mais qui menaçaient la sécurité du navire. Epuisés et pleins de sueurs, les marins se relayaient pour réaliser cette pénible tache, utile mais vaine, jusqu’à épuisement. Aux aguets, les chanceux restés sur le pont, guettaient la moindre tache semblable à une île où ils pourraient enfin se reposer et réparer convenablement la coque.
Au 7ème jour, une tache dorée un peu particulière apparue dans la longue vue de la vigie. A peine eut-il crié « Terre ! » que tous les marins arrivèrent sur le pont pour admirer cette sublime tache dorée qui leur rendait l’espoir d’enfin se reposer. On allât chercher le capitaine dans sa cabine. Contrairement à l’équipage, il ne prit pas partie à l’excitation générale et restant placide regarda la carte. Conformément à la position du navire, aucune île n’était indiquée. Après avoir recalculé leur position, il en conclu qu’ils avaient découvert une terre inconnue, ce qui s’avérait très avantageux pour trouver et rapporter de l’or. Le Capitaine ordonna l’accostage immédiat sur cette île à ses hommes. Ainsi tout le bateau festoya, les marins dansèrent, chantèrent et ne remarquèrent pas l’immense nuage qui couvrait l’intégralité des côtes de l’île. Plongés dans l’obscurité, les marins ivres ne purent éviter un rocher qui termina de détruire la coque déjà fêlée. En moins de 10 minutes, le chemin des merveilles n’était plus qu’un vague souvenir et les marins commençaient à sombrer avec lui. Dans la catastrophe, tous perdirent connaissance mais comme par magie, aucun ne perdit la vie.
Lorsque les marins ouvrir les yeux, ils cru d’abord à un rêve. L’immense nuage qui les avait fait sombrer n’était plus, à la place, ils étaient posés dans une cabane en bambou, allongés dans des lits de velours. Des hommes, des femmes, des médecins sans doute s’occupait de leurs blessures dans une gentillesse et une générosité incroyable. En moins de 24h, tous étaient rétablit. Le capitaine, intrigué par la vitesse de ce rétablissement questionna un des hommes en blanc « bonjour monsieur, tout d’abord merci de cet accueil, je nous croyais mort. Mais pouvez-vous m’expliquer par quel miracle avez-vous rétabli mes hommes en 24h ? Sommes-nous au paradis ? », l’homme ria et expliqua «c’est avec plaisir que l’on vous a soigné. Tout d’abord tutoyez moi, ici, nous sommes tous égaux et amis. Rassure-toi, nous sommes bien sur terre, bienvenu à Atlantis. Ne me remercie pas pour la vitesse de votre guérison, c’est vous qui avez tout fait, nous avons seulement aidé votre système immunitaire. Nous avons développé cette performance dans nos laboratoires du nord de l’île. Je t’y amènerais si tu le souhaites pour découvrir nos meilleurs chercheurs mais avant je vais te présenter à notre cheffe, elle avait hâte de savoir qui sont nos invités ».
Sur ces mots, l’homme commença à marcher et le Capitaine le suivi de près. Le capitaine était resté sur le pronom que l’homme avait prononcé « elle ». Il était extrêmement rare de voir une cité gouverner par une femme. Sur le continent, bien souvent, la place était occupée par un homme qui laissait tout au plus une place à sa femme pour les apparitions publiques. Sur l’ile, hommes et femmes n’étaient pas différents. L’égalité était de mise dès leur naissance et jusqu’à leur mort puisque finalement la différence n’était -elle pas que physionomique ? Il était de même pour les différences ethniques. La différence était perçue comme une force et non un frein. Tout le monde se respectait, s’écoutait et apprenait de l’autre sans apriori ou hiérarchie que le capitaine avait du mal à intérioriser. En expliquant tout cela, l’homme avait profondément modifié la perception de l’autre, du Capitaine qui à présent se demandait si sans différence son monde était peut-etre bien plus ennuyeux.
En quittant la cabane, il remarqua que l’herbe était d’un vert incroyablement vif, que les abeilles butinaient de magnifiques plantes déjà fleuries. Sur l’ile, une atmosphère d’harmonie planait. Il était 16h lorsque les enfants, filles et garçons, sortirent de l’école en courant, heureux et remplis de nouveaux savoirs qu’ils avaient hâtes de conter à leurs parents. Surpris, le capitaine demanda comment il était possible que tous, allait à l’école et en sortaient épanouis. Il demanda comment se faisait-il qu’aucun enfant ne soit en retrait, aient de phobies scolaires ou ne puissent accéder à l’éducation, comme lui quelques années plus tôt. L’homme lui expliqua que l’école était un lieu indispensable à l’équilibre de l’Ile. L’éducation était aux yeux des habitants un droit fondamental permettant de faire progresser leur société loin des dangers du rejet de l’autre, du repli sur soi, du fachisme. « Chaque enfant est un citoyen de demain, l’éducation est la clé de sa liberté, de son épanouissement personnel et professionnel ».
Tous les adultes de l’ile ont la possibilité de développer leurs talents sans honte et sans craintes » continua l’homme. Ebahi, le Capitaine continua la route en admirant les champs cultivés par plusieurs habitants blagueurs, les maisonnettes incroyablement décorées avec des couples qui semblaient s’être mariés par amour. Il vit des temples, des églises, des mosquées. Après quelques hésitations, il demanda quelle était la religion de l’Ile. L’homme lui expliqua qu’il y avait de tout qu’il ne savait pas exactement qui croyait à quoi et que cela l’importait peu. Certains étaient chrétiens, protestants, musulmans, juifs et mêmes hindouistes. D’autres ne croyaient pas et tous vivaient en harmonie. Le principe de laïcité et de respect mutuels était primordial dans l’esprit des habitants. Chacun était libre. La religion devait être une force pour aider à vivre en communauté et non un prétexte de haine. Stupéfait, le Capitaine acquiesça et continua à marcher sans un bruit, la tête remplie d’interrogations. En arrivant devant une maison sans prétention, l’homme s’arrêta et dit au capitaine « c’est là, la cheffe t’attend, bonne journée »et sur ces mots partit. A présent seul, le capitaine resta une bonne dizaine de minutes devant, sans un mot. Comment ce faisait-il que la cheffe n’avait pas de château, de plus grande maison que les autres ? Ou étaient cachés les agents de sécurité ? Comment pouvait-il rentrer en tant qu’inconnu, seul sans contrôle ? A Atlantis, la criminalité n’existait pas. Les mots guerre et attentat leurs étaient étranger. Le mot duel ne s’utilisait que dans des compétions sportives. Certes, la cheffe connaissait une opposition mais l’invitait à prendre le thé, et dans la plus grande diplomatie, ils réglaient leur différents. La cheffe apparue et reçut l’étranger en ami ; l’invita dans sa modeste demeure. En voyant son invité intrigué, le Capitaine comprit que sur l’ile, leur système de gouvernance était bien différent.
Seule chez elle, la Cheffe lui expliqua qu’il était impératif pour elle de garder son indépendance. Bien que non mariée et sans enfant elle comprenait que cela choquait bien des étrangers, seulement elle expliqua qu’ici, elle avait été éduquée à penser que la valeur de femme ne se résumait pas qu’à la maternité. Pour elle, elle savait qu’elle pouvait faire quelque chose, en tant que personne, pour que le monde change demain. Elle avait déjà voyagé, certes, et n’était pas ignorante de l’extérieur, seulement, elle le trouvait profondément cruel et inégalitaire. Elle expliqua au capitaine comment elle comptait non pas réduire à néant toute différence de salaire, de maison ou bien de bien entre les individus mais comment elle tentait d’améliorer la condition de tous ses citoyens en les écoutant et pour qu’ils ne manquent de rien. Elle expliqua que pour elle, l’altruisme, l’écoute, le respect et le vivre ensemble était l’essence même de sa politique. Son choix de vivre modestement était pour montrer qu’elle n’était qu’une citoyenne comme les autres qui avait eu l’honneur d’être choisi pour changer son île du mieux qu’elle le pouvait. Suite à cet échange, elle lui proposa de venir avec elle à sa rencontre journalière avec ses concitoyens. Ils sortirent tous les deux et parlèrent une bonne heure avec plus d’une centaine d’habitants pour régler leurs problèmes ou écouter leurs histoires. La cheffe notait tout et comptait régler les disfonctionnements du mieux qu’elle puisse le plus rapidement possible. A la fin de leur entretien, elle remercie chaleureusement le Capitaine et lui prononça ces mots « je suis consciente de ne pas être une cheffe parfaite, mais je m’efforce de m’y rapprocher. Je sais également que dans votre pays, vous n’avez pas la chance d’être en si petit comité et plaire à tout le monde est une tâche impossible mais croyez-moi qu’écouter doit toujours rester votre priorité. Avoir une bonne image ne passe pas que par une bonne équipe de communication. Un gouverneur doit toujours rester les pieds sur terre et ne pas être aveuglé par la soif de pouvoir afin de comprendre ses concitoyens. Voilà ce qui est pour moi l’essentiel. Je dois à présent vous laisser mais sachez que vous serez toujours les bienvenus. Quelques hommes ont réparé votre bateau. Je crois avoir compris que vous cherchiez de l’or à ramener au pays. Je ne peux malheureusement vous en donner mais je pense, sans prétention, vous avoir donné bien plus »
Elle partit et laissa le capitaine sans voix, plein de questions et d’espoir décuplé sur un possible monde ; mais elle n’avait pas disparue, notamment en murmurant doucement son prénom à l’oreille du capitaine « Victoire ». Le soir même, il festoya une dernière fois avant de retrouver la mer. De cette expérience, il fût à jamais changé et plus jamais il ne fût aveuglé par l’or ou le pouvoir mais riche de la rencontre avec Atlantis et sa cheffe, empli d’énergie et de clairvoyance sur ce qu’il croyait être juste et équitable pour tous.
Elora Veyron-Churlet
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