Les Etats-Unis :
quelles visions portent-t-ils sur eux-même dans « Apocalypse Now » de Francis Ford Coppola ?
Film à l’étude
Titre : Apocalypse now
Réalisateur : Francis Ford Coppola
Distribution : Marlon Brando, Martin Sheen, Robert Duvall, Frederic Forrest, Albert Hall, Sam Bottoms, Laurence Fishburne, Dennis Hopper…
Genre : film de guerre
Date de sortie : 1979
· 2001 : Apocalypse now Redux
· En 1991 sort le documentaire sur le tournage intitulé « Aux cœurs des ténèbres » : L'Apocalypse d'un metteur en scène
Distinctions :
· 1979 : Palme d’or à Canne
· 28ème place des meilleurs films américain par American film institute
· 2000 : National Film registry le choisi pour être conservé à la bibliothèque du congrès pour son importance « culturelle, historique ou esthétique »
Réalisateur
Nom : Francis F. Coppola
Métier : Réalisateur, Scénariste, Producteur exécutif
Nationalité : Américaine
Naissance : 7 avril 1939 (Detroit, Michigan - Etats-Unis)
Récompenses : Récompensé cinq fois aux Oscars et a remporté deux fois la Palme d'Or au Festival de Cannes.
Il devient une grande figure d’Hollywood grâce à la trilogie du Parrain et Apocalypse now, qui dépeint la guerre du Viêt Nam avec un lyrisme abouti.
Ses Etudes : Après un bachelor of Arts obtenu en 1959 à l’Université de Hofstra, il abandonne le théâtre pour le cinéma.
Il intègre donc l’Université de Californie de Los Angeles en School of Theater, film and Television.
Il obtient donc un master of fine Arts en 1967 et se perfectionne à la School of Cinematic Art de l’Université du Sud.
Il rencontre alors Jim Morrison dont ses morceaux emblématiques de l’époque seront intégrés à la bande originale de son célèbre film Apocalypse now.
Sa Filmographie : Il collabore notamment avec René Clément pour Paris brule-t-il ? ou encore avec Franklin J. Schaffneret pourl'écriture de Patton , qui lui vaut l'Oscar du Meilleur scénario en 1971.
Il fonde alors la société American Zoetrope en collaboration avec George Lucas et produit son premier film THX 1138.
Son succès commence en 1972 avec le film culte le parrain qui remporte la Palme d'Or au Festival de Cannes en 1974. La réalisation du deuxième volet du Parrain lui vaut à nouveau un succès critique et commercial.
En 1976, il commence le tournage le plus éprouvant de sa carrière : Apocalypse now. Le film demande trois ans de travail et offre au réalisateur en 1979 sa seconde Palme d'Or. Après plusieurs films de qualité mais sans retombées, il enchaine les désastres commerciaux avec Coup de cœur (1982) et Cotton club (1984)
C’est sa marque de vin et le troisième volet du parrain qui lui permettent de remonter la pente.
Il produit ensuite plusieurs films comme Tetro (2009), twixt (2012), megalopolis (2019)…
Le Synopsis :
En pleine guerre du Vietnam, le capitaine Willard en permission à Saigon, se laissant aller à la folie provoquée par l’alcool et les souvenirs traumatisants de la guerre, attend paradoxalement avec impatience une nouvelle mission. Son mauvais « trip » dans la chambre d’hôtel de Saigon est perturbé par deux officiers qui l’amène dans le bureau de l’Etat-major. Une mission confidentielle lui est confiée : il a quelques jours pour remonter la rivière et éliminer le colonel Kurtz dans la jungle au-delà de la frontière cambodgienne. Cet officier est devenu un fou de guerre incontrôlable er s’est bâti un empire sur lequel il règne par la terreur. Le périple du capitaine Willard et de ses hommes est un chemin vers la folie au travers la guerre. Les compagnons vont assister au bombardement au napalm d’un village vietnamien, puis a un spectacle de playmates qui tourne mal avant d’arriver à leur destination finale : un univers de folie meurtrière et d’enfer qui n’a plus aucun sens ni lien avec la guerre.
Analyse :
1. Une guerre infernale :
L’ouverture du film annonce déjà la fin : la guerre est un enfer qui mène à la folie, à l’apocalypse. Ce mal-être est incarné par Willard perdu dans les vapeurs d’alcool. Le paradoxe s’impose : lorsque l’on est à la guerre, on ne pense qu’à en sortir, lorsqu’on en est sorti, on ne souhaite que y retourner.
Une prise de position est affirmée dès l’ouverture : Coppola filme des images de la beauté naturelle d’un pays à travers une jungle ravagée par le conflit en y juxtaposant le visage renversé de Willard. Un sentiment de dégout et de présence injustifiée dans un conflit qui semble inutile y nait.
Ainsi, les images sont très parlantes : un pays (que représente la jungle) est ravagé par un autre pays (le feu provoqué par le napalm lancé par les américains) et tout cela dans l’incompréhension des soldats (Willard a la tête renversée) à qui on vole la jeunesse ou bien leur vie
(cela est dit explicitement dans la chanson :
« This is the end,my only friend, the end
Of our elaborate plans, the end
Of everything that stands [...] » ) .
2. Le bal infernal des hélicoptères
Cette scène est l’une des plus marquante du film. En effet, cette scène présentée avec légèreté par les américains et en réalité une scène de destruction massive et gratuite au napalm ordonnée par le colonel Kilgore qui marque les esprits avec sa phrase : « j’aime l’odeur du napalm le matin ».
Détaché, Kilgore ignore l’horreur qui se produit et en fait un jeu. Il ne rate aucune occasion de « s’amuser » entre surf, musique de la chevauchée des Walkyries de Wagner et hélicoptères conduits tel une cavalerie et c’est sous notre regard ébahi que Kilgore fait preuve d’une légèreté dérangeante. Wagner est réputé pour être le compositeur préféré des nazis, ainsi en utilisant cette musique, Coppola fait une comparaison entre les américains et le nazisme.
La référence aux conquêtes Américaines est explicite grâce au chapeau de la cavalerie Américaine porté par le colonel dirigeant les opérations.
Les vietnamiens ont pris la place des indiens, les hélicoptères des chevaux. Ainsi, cette scène dénonce à la fois la folie belliqueuse des Etats Unis mais elle est également une remise en question de l’intervention militaire américaine au Vietnam et des choix de ses dirigeants.
Cette scène montre que l’Amérique est née dans la violence. Si ce combat peut être pris dans le sens d’une bataille juste contre le mal, Apocalypse now montre la perte du sens moral de ce conflit dans lequel le pays a tout perdu jusqu’à son plus grand soldat dans la Folie (Kurtz).
3. Une scène rajoutée en 2001 : la plantation des français
Cette nouvelle séquence se trouve dans la seconde moitié du film. La mort du pilote Willer vient de bouleverser l’équipage.
La scène est filmée de telle sorte que le spectateur à la même vision que s’il se trouvait sur le bateau. Ainsi comme l’équipage, il ne sait pas ce qui va survenir en continuant sur le fleuve recouvert d’un épais brouillard. Les armes sur la droite pointent la direction du potentiel danger et le capitaine retourné et avachi traduit le désespoir des soldats face à la mort pesante du jeune soldat.
Ils arrivent alors sur la côte. Les français leur demandent de baisser les armes. Les deux cotés ont peur et sont loin de paraitre héroïque. Les français sont tout de même en supériorité (comme le montre la cigarette et l’arme du personnage au second plan) face aux soldats fatigués et dénudés.
L’enterrement militaire du jeune Willer, autorisé par les français, est une parenthèse humaine dans cette guerre infame et est remarquable par le drapeau américain sur le cercueil qui traduit la fierté patriotique des soldats : « Mon Capitaine, voici le drapeau de Tyrone Miller, au nom de la patrie reconnaissante ». La casette porteuse du message de sa mère est enterrée avec lui. Cela représente la perte de leurs proches et le manque de leur patrie.
Le capitaine Willard et ses compagnons sont ensuite invités à diner « à la française ». Cela est aussi intéressant car à travers le discours, révélateur de la lucidité des français sur la situation des américains . C’est aussi le premier regard extérieur à la situation présent dans le film : on avait jusqu’à lors seulement notre regard de spectateur capable de juger cette guerre. Cette lucidité est traduite par le jeu de lumière sur les français face aux américains dans l’ombre, dans l’obscurantisme. Willard semble dans l’incompréhension, muet et en retrait. La tension monte alors que Willard reste concentré sur la pureté de Roxane, hôte française, propriétaire des lieux et veuve.
Plusieurs métaphores servant de reproches sont criées : « le Blanc est parti mais le Jaune est resté » « Pourquoi vous ne tirez pas de leçons de nos erreurs ? » (il est question ici de la colonisation et de ses échecs dans la vague d’indépendance comme en Algérie ou en Indochine). La table vide enfin symbolise le vide apporté par la guerre qu’Hubert refuse de voir cloitré dans ses idées.
4. Playmate
Cette scène, déconnectée de la guerre et de sa misère, met en scène un show à l’américaine avec des filles descendant d’un hélicoptère, habillées en cowgirls et dansant presque dénudés sur une scène luxueuse et illuminée devant des milliers de soldats au beau milieu de la jungle. Devant faire oublier les horreurs de la guerre, le show tourne pourtant à la débâcle lorsque des soldats investissent la scène pour toucher ou attraper les danseuses. Ces mêmes soldats s’accrochent à l’hélicoptère des filles et tombent dans l’eau. Ces hommes au comportement bestial sont devenus prédateurs, dangereux pour leurs semblables car en effet la guerre est un acte inhumain où sont tués des hommes par des hommes. Cette scène est importante car elle arrive après le ravitaillement et montre un univers où les soldats solitaires et désespérés tombent dans la drogue et deviennent fous au point de commettre des actes violents pour sortir de leur univers ; la guerre.
La guerre est un monde sans femme, où les seules présentes sont réduites au simple service des fantasmes.
L’horreur, même dans leur moment de détente ne les lâche pas, elle les poursuit dans une folie grandissante jusqu’à la fin du film, jusqu’à leur faire perdre toute humanité.
5. Arrivée dans l’univers d’enfer
Le difficile et éprouvant périple touche à sa fin : An confins de la rivière se trouve le camp du Colonel Kurtz. Willard, Chef et Lance sont accueillis par un reporter qui a rejoint les troupes de Kurtz. Fou du colonel, il l’idolâtre comme un dieu et comme pour excuser sa survie, justifier son rôle de journaliste, explique le monde créé par Kurtz. L’on découvre l’enfer sur terre : un univers jonché de cadavres ou de têtes coupées. La violence gratuite et l’extrême soumission due à la drogue. Willard reconnaît parmi les hommes de la secte, le Capitaine Colby qui, comme lui quelques mois plus tôt, avait pour mission de tuer Kurtz. Seulement, celui-ci a rejoint la folie et ne semble plus être en vie même s’il respire encore.
Willard se fait emprisonner et torturer. Kurtz, étrangement, alors qu’il exécute sans vergogne quiconque se trouve sur son chemin, vient le voir et échange avec son prisonnier comme s’il reconnaissait en lui un être avec qui il pouvait communiquer. Cet espoir de vie ne fait pas long feu, puisqu’il lui livre la tête de son compagnon (Chef) fraichement coupée, indiquant ainsi que tout espoir de départ ou fuite est définitivement clos.
La relation entre Willard et Kurtz est empreinte d’étrange attirance et de révulsion, comme des êtres qui ont vécu tant d’horreurs qu’ils peuvent se comprendre et qui sont révulsés par eux même également.
Relâché, Willard profite d’une cérémonie pour tuer Kurtz ; comme cela lui avait été ordonné, comme il s’était interrogé sur ce qu’il ferait en le trouvant.
S’il sort tel un dieu de l’antre de Kurtz, il ne prend pas la place de celui-ci malgré la foule idolâtre comme droguée, mais repart hanté par les derniers mots du colonel : « horror…horror… »
Derniers mots qui clôturent le film.
Les dernières images de Willard ressemblent étrangement au visage de Kurtz.
La morale serait donc que la guerre rend les hommes fous, insensibles et assoiffés de pouvoir quel qu’il soit. Par ailleurs, la dernière image de Kurtz est une ombre, il n’est plus que l’ombre de lui-même, une sorte de gourou mégalomane et fou, insensible au chao qu’il sème. Si Willard finit par lui ressembler en prenant sa place au milieu des « fidèles », il choisit de fuir et d’honorer la mémoire, de raconter l’horreur. Tout au long du trajet, Willard essaie de comprendre Kurtz. Chaque passage, chaque épreuve traversée pour le rejoindre le rapproche de la folie et donc du Colonel que la guerre a perdu, que la guerre a mené à l’apocalypse.
Réception du public
Le film récompensé par la palme d’or à canne en 1979 est considéré comme le plus grand film de tous les temps par grand nombre de cinéastes. Rediffusé régulièrement sur grand écran, le film obtient 4,5 étoiles sur les sites de critiques avec plus de 3000 votes. Le film met tout le monde d’accord : Chef d’œuvre visuel, sonore, politique et historique Coppola à réussi un coup de maître malgré les aléas du tournage. Aujourd’hui conservé à la bibliothèque du congrès et placé 28ème dans le top des meilleurs films par Américan institute, le film fait presque l’unanimité malgré son image peu flatteuse de la politique américaine.
par Jean de Baroncelli
Des moyens exceptionnels, la puissance (…) de sa mise en scène (…) permettent à Coppola de transcender le spectacle de la guerre pour en faire une sorte de fête tragique et monstrueuse (…) 22/05/1979
par Annie Coppermann
« Apocalypse now Redux » dure 3 heures 17. On n'y trouve jamais le temps long, et l'on se dit que c'est un film que sans doute personne ne pourrait plus faire aujourd'hui.
par Pierre Murat
Tout est "show" dans Apocalypse now (…). Résultat : on sort frappé, "sonné", abasourdi, K.O. (…) 26/09/1979
Le contexte.
L’action du film se déroule pendant la guerre du Vietnam en 1969 juste après le Têt de janvier 1968. Les américains ne sont donc plus sûrs de rien dans la réussite de ce conflit : la défaite est proche.
La drogue commence à envahir les troupes et l’horreur ne fait que commencer.
Basé sur le roman de Joseph Conrad, Au cœur des ténèbres, 1898, Apocalypse now est tourné à la fin de la guerre au moment où l’engagement dans cette guerre est remis en cause par le gouvernement après son échec.
Une critique du conflit
Les œuvres cinématographiques sont des moyens puissants pour promouvoir une puissance ou encore affirmer une supériorité. Alors qu’Hollywood avait toujours soutenu l’Etat dans ses conflits allant même presque jusqu’à la propagande (Casablanca, M. Curtiz, 1942 ou Le port de l'angoisse, H. Hawks, 1944 ) pour soutenir le gouvernement lors des 2 guerres mondiales, alors que le cinéma américain montre d’ordinaire le pays sous son meilleur jour, Apocalypse now est le premier film à travailler sur un puissant échec américain : La guerre du Vietnam.
Loin du patriotisme, la conquête des Américains contre le mal est ici présentée comme une tuerie inutile et gratuite. Avec d’autres films critiquant l’engagement militaire américain au Vietnam comme M.A.S.H. en 1969, Apocalypse now rend la critique plus forte en prenant le point de vue interne d’un américain. Le film sur la guerre nous embarque dans la folie à travers l’épouvantable périple d’un soldat perdu loin de sa patrie en essayant de répondre aux interrogations du public de l’époque.
L’introspection de Coppola dans la folie du Vietnam marque une rupture entre Hollywood et la politique américaine.
« Mon film n’est pas un film. Mon film ne traite pas du Vietnam. Il EST le Vietnam. Exactement comme il était. C’était fou. Et la façon dont nous l’avons tourné était très proche de celle dont les Américains ont fait la guerre au Vietnam. Nous étions dans la jungle, nous étions trop nombreux, nous avions accès à trop d’argent, trop de matériel, et peu à peu nous sommes devenus fous »
Francis Ford Coppola – Conférence de presse, Festival de Cannes, 1979
A l’intérieur de cette critique, une série de dénonciation illustrées par des références historiques :
1. Tout d’abord le massacre des indiens dans la scène du colonel Kilgore. Coppola marque l’historique et tragique naissance des Etats-Unis et n’hésite pas à forcer le trait jusqu’à la référence subtile au nazisme.
2. La drogue ignorée par l’armée n’échappe pas à Coppola, la scène du ravitaillement montre un intérêt des soldats plus prononcé pour les substances illicites que le service classique. L’alcool et la drogue sont l’unique réconfort des soldats (cf scène des playmates).
3. La critique de la colonisation dans la scène de la plantation vient appuyer l’inutilité de l’intervention militaire américaine. La célèbre phrase « Vous les Américains, vous ne vous battez pour rien du tout » traduit la pensé du réalisateur et l’opinion publique des américains contemporains. Les soldats eux-mêmes ne savent pas se qu’ils font dans cette guerre.
Ce sentiment est récurrent chez certains américains dans les interventions
du pays comme en Irak jusqu’en 2003 ou encore l’assassinat de Soleimani
récemment.
Le cinéma comme arme politique
Ainsi, nous pouvons dire qu’Apocalypse now est un chef d’œuvre à la foi visuel est politique : Le récit de la chute d’une puissance qui se perd dans la guerre.
Il interroge sur l’Amérique et son intervention à l’international mais en innovant : c’est l’introspection d’un échec. La réflexion politique qu’apporte ce film va au-delà du fait historique. Coppola interroge le spectateur sur la guerre, l’horreur et l’homme dans celle-ci. Si le spectateur reste bouche-bée et parfois horrifié par les actions des uns, il ne peut juger. En effet, le regard de Willard découvre et comprend Kurtz qui incarne pourtant la folie. Mais qui ne deviendrait pas fou dans l’Apocalypse ? Jusqu’où les Etats-Unis peuvent-ils aller pour affirmer leur puissance ? Ce film par un clair-obscur permanent nous laisse dans le brouillard.
BIBLIOGRAPHIE
Document audio visuel :
ü COPPOLA Francis Ford, Apocalypse now Redux, 2001 [en DVD], 196 min.
Sites internet :
Dernière mise-à-jour : 2019-09-25 09:45:28. Consulté le 01/01/20
ü https://lemacinema.hypotheses.org/579. Consulté le 01/01/20
ü http://www.thucydide.com/realisations/voir/analyses/apocalypse.htm. Consulté le 01/01/20
ü http://www.allocine.fr/personne/fichepersonne-372/filmographie/ Consulté le 02/01/20
ü http://www.allocine.fr/film/fichefilm-27061/critiques/presse/ Consulté le 02/01/20
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